23 Jan 2018

Un an après le Global Gag Rule, la France doit agir contre le bâillonnement des droits et de la santé des femmes

23 Jan 2018

Il y a un an jour pour jour, Donald Trump signait la « Règle du bâillon mondial », ou Global Gag Rule conditionnant ainsi l’accès à la totalité de l’aide au développement américaine consacrée à la santé : toute organisation étrangère qui souhaiterait bénéficier d’un financement de l’aide fédérale américaine doit attester qu’elle ne fournit aucun service ou ne mène aucune activité de conseil ou de plaidoyer visant à favoriser l’accès à l’avortement médicalisé et sécurisé, y compris sur des financements non américains.

Instaurée par le Républicain Ronald Reagan en 1984, cette règle dite « Mexico City Policy » mais renommée « Règle du baillon mondial » par ses opposants (Global Gag Rule (GGR)) a été successivement enterrée et ressuscitée au gré de l’alternance entre Démocrates et Républicains. Le président Trump, lui, en a étendu la portée : jusque-là, elle conditionnait l’accès aux fonds américains consacrés à la planification familiale, soit 575 millions de dollars (490 millions d’euros). Désormais, elle conditionne l’accès à la totalité de l’enveloppe destinée à la santé, soit 9,4 milliards de dollars. Cette règle menace de nombreuses initiatives et programmes dans les pays en développement.

A cela s’ajoute la décision du département d’Etat américain de ne plus participer au financement du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). Le pays était le troisième contributeur, avec 63 millions de dollars en 2016 et 75 millions en 2015. Selon l’agence onusienne, ces sommes permettaient annuellement de sauver la vie de 2 340 femmes, d’éviter 947 000 grossesses non désirées et de prévenir 295 000 avortements clandestins.

Une politique d’aide au développement qui menace les droits et la santé des femmes

En interrompant les financements d’organisations de terrain qui assurent l’accès aux services et à l’information, notamment auprès des femmes les plus défavorisées mais aussi des jeunes filles, le GGR aggrave une situation déjà alarmante. On estime que 214 millions de femmes qui souhaitent éviter ou différer une grossesse n’ont pas accès aux méthodes de contraception moderne. On dénombre 25 millions d’avortements non sécurisés (45 % de l’ensemble des avortements) par an, 3 millions d’entre eux concernent des jeunes filles. La majorité des avortements non sécurisés, soit 97 %, ont été pratiqués dans les pays en développement en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Les complications liées aux avortements à risque représentent la troisième cause de mortalité maternelle en général et la deuxième cause de décès chez les filles de 15 à 19 ans. Ces décès pourraient tous être évités si l’on garantissait la disponibilité et l’accès à des services de qualité.

Plusieurs études ont prouvé que les restrictions du droit à l’accès à un avortement médicalisé n’ont pas d’effets sur le nombre d’avortements pratiqués, mais sur la morbidité et la mortalité des femmes. En effet, une femme qui a décidé de mettre un terme à sa grossesse le fera, même dans l’illégalité et dans des conditions sanitaires non adaptées, au risque de mettre sa vie en danger.

La planification familiale en Afrique de l’Ouest : des besoins immenses et des progrès limités

L’Afrique de l’Ouest, où les taux de mortalité maternelle restent particulièrement élevés et où la prévalence contraceptive peine à atteindre les 20%, est particulièrement concernée par les réductions budgétaires imposées par le Global Gag Rule.

Lancé en 2011 avec comme objectif d’accroître l’accès à la contraception dans l’Afrique francophone, le Partenariat de Ouagadougou fédère neuf pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Togo) et de grands bailleurs de fonds. USAID, l’agence américaine pour le développement, est de loin le premier d’entre eux, avec plus de 46 millions de dollars dépensés en 2016 dans ces pays pour des programmes de planification familiale, soit près de 50 % des sommes investies dans la région sur ce sujet.

Le nécessaire engagement de la France pour les DSSR 

L’aide au développement des Etats-Unis représente la plus importante contribution en matière de santé mondiale et rend l’impact du GGR d’autant plus important sur les besoins et progrès en matière de droits et de santé sexuels et reproductifs (DSSR). Les Etats menant une politique de développement progressiste, et réunis notamment au sein du mouvement SheDecides lancé en mars 2017 par les Pays-Bas et la Belgique en opposition immédiate au GGR, doivent se mobiliser dans la durée pour contrer les effets du GGR et maintenir le momentum en faveur des DSSR. La France, qui n’a pas contribué financièrement à SheDecides, a pourtant une responsabilité à assumer.

« Je veux partout en Afrique qu’une jeune fille puisse avoir le choix de ne pas être mariée à 13 ans ou à 14 ans et commencer à faire des enfants » a insisté Emmanuel Macron lors de son discours du 29 novembre dernier au Burkina Faso. Cette priorité affichée s’inscrit dans la continuité de plusieurs engagements politiques du précédent gouvernement. En octobre 2016, le ministère des Affaires étrangères a publié sa première stratégie de référence en la matière : « L’action extérieure de la France sur les enjeux de population, de droits et santé sexuels et reproductifs 2016-2020 » puis a lancé l’appel du Serment de Paris le 8 mars 2017, qui visait à la remobilisation de la communauté internationale en faveur des droits des femmes.

« Dans ce combat pour le développement nous avons aussi besoin de soutenir la place des femmes, la culture et la liberté d’expression. Partout où la place de la femme est remise en cause, bafouée, c’est le développement qui est bloqué, c’est la capacité d’une société à s’émanciper, à prendre sa juste place qui est ainsi bloquée, ce ne sont pas des sujets de société anodins, c’est un combat de civilisation profond, c’est notre combat, ce sont nos valeurs et elles ne sont pas relatives, elles sont éminemment universelles sur tous les continents, toutes les latitudes [1]». Nous sommes d’accord ! Les DSSR sont une condition indispensable de l’égalité de genre et un puissant levier de transformation des sociétés. Mais pour cela, la volonté politique ne suffit pas. Elle doit être associée à des moyens conséquents pour se traduire en actions concrètes et incarner un changement effectif et durable.

Nos organisations appellent la France à réagir de toute urgence et à :

  • Respecter et mettre en œuvre les engagements présidentiels en faveur de l’égalité femmes-hommes. Ils doivent se traduire dans les priorités de l’aide publique au développement à l’occasion notamment du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février prochain.
  • Dénoncer la politique d’aide américaine et confirmer son soutien, y compris financier, à SheDecides.
  • Réaffirmer son leadership sur la scène européenne et internationale pour la défense des droits sexuels et reproductifs. Aux Nations unies, les prochaines sessions de la Commission sur la condition des femmes (mars 2018) et de la Commission sur la population et le développement (avril 2018) devront être des temps forts de mobilisation de la délégation française face aux forces conservatrices.
  • Enfin, et surtout, s’engager financièrement pour permettre la réalisation de la feuille de route sur les droits et la santé sexuels et reproductifs. Cet investissement doit être à la hauteur des annonces politiques mais surtout des défis existants pour des progrès réels et pérennes.

 

[1] Emmanuel Macron, Président de la République -Discours devant la 72ème Assemblée générale des Nations unies, New York, 19 septembre 2017.

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